formation avec Denis Salas
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Justice, procès et terrorisme, une journée de formation à destination de professeurs et cadres de l’Education nationale

14/12/2023

A l’occasion du procès de Tooba Gondal, qui se tenait du vendredi 1er au mardi 5 décembre 2023 devant la cour d’Assises spécialement composée, la mission de préfiguration du Musée-mémorial du terrorisme, a proposé, en partenariat avec l’Association française d’histoire de la justice (AFHJ), une journée de formation sur la justice antiterroriste à des personnels de l’Education nationale, professeurs, formateurs et cadres des trois académies franciliennes.

Cette journée s’est tenue le lundi 4 décembre et a rassemblé, en plus de membres de la mission, des chefs d’établissement, des inspecteurs et formateurs, des membres des équipes académiques « Valeurs de la République », des conseillers des rectorats. 

Le groupe, accompagné d’Elisabeth Pelsez, directrice générale de la mission de préfiguration et de Denis Salas, président de l’AFHJ, a pu rencontrer le président de la cour, Christophe Petiteau, avant le début de l’audience. Le magistrat a évoqué l’infraction d’association de malfaiteurs antiterroriste, les affaires dans lesquelles les ressortissants français rapatriés de la zone irako-syrienne depuis 2016 sont jugés et rappelé le rôle de la justice, 1) protéger la société, 2) empêcher la réitération, 3) punir puis 4) réinsérer, lesquelles considérations animent ainsi la cour tout au long de l’audience et au moment du délibéré.

Nous étions au 2e jour du procès et la matinée était consacrée à la personnalité de la mise en examen, à partir de la restitution d’un rapport d’expertise d’une psychoclinicienne, l’objectif étant d’évaluer l’existence ou non de troubles de la personnalité et donc la responsabilité pénale de l’accusée.

Le reste de la journée était consacrée aux rencontres avec des acteurs de la justice antiterroriste.

Jean-François Ricard, premier procureur de la République antiterroriste depuis la création du PNAT en 2019 a évoqué son parcours professionnel, dont les débuts, dans les années 1980, coïncident avec la recrudescence du terrorisme, séparatiste, basque avec l’ETA et corse avec le FLNC, nationaliste avec le groupe arménien l’Asala et les groupes palestiniens FPLP, Abou Nidal, révolutionnaire, avec Action directe ou encore les attentats de Carlos, lui-même forme de syncrétisme entre différents groupes terroristes. Le magistrat a évoqué l’adaptation de la justice depuis les années 1980, sa spécialisation et sa centralisation pour faire face au mieux au terrorisme, ainsi que ses évolutions les plus récentes en réaction à un terrorisme nouveau, polymorphe, en mutation permanente, davantage mouvement de pensée qu’organisation figée, le djihadisme, qui apparaît en France avec le GIA au début des années 1990, et atteint un paroxysme avec les attentats de janvier et novembre 2015.

Denis Salas, magistrat, chercheur, président de l’association française d’histoire de la justice a fait état des recherches depuis 2015, où il organise un groupe de recherche pluridisciplinaire, un laboratoire de réflexion rassemblant politologues, sociologues, historiens, anthropologues, et dont l’enjeu est de s’intéresser au traitement judiciaire du terrorisme et au rôle que la justice peut jouer en matière de lutte antiterroriste. Il évoque une forme de justice réparatrice, restaurative qui se construit au fil des procès antiterroristes, mais aussi la puissance émotionnelle des victimes qui prennent une place considérable dans ces procès, dont les plus importants sont filmés, à partir de celui des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, l’importance du travail de la loi qui individualise, redonne une place à chacun, participe à la reconstruction du groupe et de la cohésion nationale. Il analyse les débats éthiques qui se posent au cours des procès, faire ou non une minute de silence lorsqu’en pleine audience du procès Charlie, le professeur d’histoire Samuel Paty est assassiné par un terroriste islamiste, montrer ou non les images. Il montre l’importance que prend le procès pour les victimes qui y trouvent la vérité narrative qu’elles attendaient.

Jean-Marc Herbaut, coordonnateur du pôle d’instruction antiterroriste conclut la journée avec le rôle du temps long et secret de l’instruction, de « l’information judiciaire » à partir du moment où le parquet se saisit de l’affaire et la qualifie de « terroriste » jusqu’au moment du procès, qui est le temps de l’oralité et de la publicité des débats. Le juge d’instruction explique le fonctionnement des dossiers d’instruction, le travail avec la SDAT au sein de la Police judiciaire et avec la DGSI, les allers-retours avec le PNAT, le rôle de la coopération internationale, le nombre et le type de dossiers qui sont traités à la « Galerie Saint-Eloi », les dossiers anciens qui ont souffert de blocages liés au contexte géopolitique et ont pu se débloquer parfois tardivement. C’est le cas notamment avec la fin de la Guerre froide qui permet de reprendre l’instruction des attentats commis par le groupe palestinien Abou Nidal jusque-là protégé par les pays de l’Est. L’accès aux archives de la Stasi permet ainsi de rouvrir un certain nombre d’enquêtes. Jean-Marc Herbaut évoque aussi la complexité de l’instruction de l’affaire Samuel Paty, avec l’implication de mineurs, jugés au même moment sous plusieurs chefs d’accusation, association de malfaiteurs terroristes (AMT) mais aussi association de malfaiteurs en vue de commettre des violences.

Pour information :
Le lendemain, mardi 5 décembre, le procès de Tooba Gondal se terminait sur le réquisitoire et la plaidoirie de la défense. Sans preuves tangibles sur la dangerosité de l’accusée, en raison de l’éloignement de la zone irako-syrienne, du prisme genré de la justice qui dans un premier temps s’intéresse peu aux femmes revenant des zones occupées par l’EI, de l’absence de coopération de la justice britannique, mais avec un faisceau d’indices indiquant un rôle d’influenceuse au service de l’EI, avérant l’apologie d’actes de terrorisme, y compris ceux du 13 novembre 2015 en France, ainsi que le port et la manipulation d’armes de guerre, le parquet national antiterroriste a requis une peine de 15 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3, un suivi socio-judiciaire avec une obligation de soin, d’occuper un emploi et l’interdiction des professions au contact des enfants. Marie Dosé, avocate de la défense a insisté sur l’absence de preuve, sur la reconnaissance par sa cliente d’un certain nombre de faits et sur son souhait, dès la naissance de son premier enfant de sortir de l’emprise de l’EI. Le président a demandé à Tooba Gondal si elle avait quelque chose à rajouter : « Ce procès, ça compte beaucoup pour moi. Je vous demande pardon ». La cour a rendu son verdict en fin d’après-midi, 10 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3, avec un suivi socio-judiciaire et une obligation de soin. C’était le 2e procès cette année d’une « revenante de Daesh ». 
 

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