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L'école face au terrorisme. Janvier et novembre 2015

Le 1er juin dernier, le MMT a organisé la journée de formation L'école face au terrorisme. A cette occasion, Emmanuel Saint-Fuscien, historien, directeur d’études à l’EHESS et membre du LIER-FYT est intervenu sur le thème des bouleversements des mondes scolaires en 2015, d'après son ouvrage L’école sous le feu, janvier et novembre 2015. Voici, ci-dessous un résumé de cette intervention.

L’exposé suivant rend compte d’une enquête menée au sein des mondes scolaires français aux lendemains des attentats de janvier et de novembre 2015 dont les résultats furent publiés en septembre dernier . Faut-il rappeler à quels points ils bouleversèrent profondément nombre d’acteurs des mondes scolaires – élèves, enseignants, chefs d’établissement, personnels de l’encadrement et parents – qui y furent confrontés ? Comme toujours, la sidération fut brève car une parole s’empressa de combler la rupture que l’événement suscitait entre la société et son école publique d’une part, et au sein des établissements scolaires d’autre part. Qu’elle fut médiatique, politique ou savante, elle se déploya d’abord contre l’école dressant le constat d’un déclin général, le plus souvent sur fond de recul de la laïcité et d’empiètements d’un islam communautaire sur les valeurs de la République. Sous la plume de nombreux acteurs sociaux, journalistes, responsables politiques, administrateurs, les subversions de l’hommage aux morts de janvier - la minute de silence du 8 - fut associée à une « réplique » des attentats (par exemple dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le fonctionnement du service public de l’éducation remis au Président de la République en juillet 2015).

Cette « réplique » apparue d’autant plus menaçante qu’elle semblait avoir pour cadre la principale instance de socialisation citoyenne réunissant en son sein la totalité des enfants de la nation : l’école. Dans les murs de la classe, pourtant, d’autres mots et d’autres gestes furent mis en partage sous des modalités proches parfois des pédagogies de temps de guerre, principale singularité des vies scolaires répondant à l’épreuve du terrorisme. D’abord l’école est apparue « coupable » de la violence répandue, comme toujours en temps de guerre. En 1914-1918, elle est montrée par les pédagogues comme ayant rendu possible « l’holocauste » de la jeunesse française dès la guerre elle-même (Raymond Thamin, 1916). En 1940, elle est désignée comme principale responsable de la débâcle et du délitement militaire et pendant la guerre d’Algérie elle est jugée vecteur de la violence colonialiste par le FLN mais aussi coupable de bienveillance envers la révolution indépendantiste par l’OAS. En 2015, elle est alors jugée coupable de la déviance terroriste de jeunes socialisés aussi en ses murs. Mais par bien d’autres aspects, les acteurs des mondes scolaires ont répondu comme au temps des guerres du XXe siècle. D’abord en appelant à la mobilisation de l’institution, grande permanence des injonctions faites à l’école dans toutes les guerres internationales, ensuite en appelant les élèves – même les plus petits – à soutenir le deuil de la nation en rendant hommage aux morts (spécificité, sous une telle forme, des mondes scolaires français). Comme en temps de guerre, l’école a représenté une cible spécifique du combat en cours. À ce titre, le numéro de Dar al Islam du 30 novembre 2016 revendiquant les attentats du 13 désigna l’école comme cible réservant une charge de quatre pages d’une violence paroxystique contre l’école laïque française appelant à « tuer tous les corrupteurs », en l’occurrence les enseignants et les assistantes sociales orientant les enfants. Enfin comme en temps d’épreuve guerrière, les événements ont imposé un moratoire (même bref) des temps scolaires et notamment des sacro-saints programmes, pierre de touche de la crédibilité professionnelle des enseignants auprès de leur autorité académique (et parfois des parents).

C’est à la suite de ces scansions, entre janvier et novembre 2015 puis de nouveau après le 13 novembre, qu’élèves et enseignants eurent parfois à réagencer les pactes pédagogiques. Dans les salles de classe, là où en général l’enseignement moral et civique apparaissait à beaucoup d’élèves – et d’enseignants - comme un catéchisme plaqué et déconnecté du quotidien des élèves, les notions de respect, de liberté d’expression, de droit à la différence ont été abordées cette fois à la suite d’événements violents faisant effraction dans le temps ordinaire de l’ensemble des acteurs de l’école. Ces derniers étant évidemment absents des manuels scolaires, aucune « leçon toute faite » ne pouvait être mobilisée pour les aborder au sein de la classe. Pratiques hybrides et plurielles furent dès lors assemblées par l’enseignant et ses élèves, « inventées » ensemble pour la tragique occasion.


Le besoin commun de rendre intelligible l’actualité entraîna souvent, même pour un temps limité, une transformation du déroulé habituel des cours et bouleversa les relations pédagogiques. Gestes et mots consacrés à une compréhension commune des événements furent partagés, comme si enseignants et élèves avaient eu à cœur de corriger en novembre les divisions survenues en janvier, menaçantes aux yeux des uns et des autres. L’impératif de maintenir à flot les communautés scolaires semble avoir été ressenti par la majorité des acteurs ayant répondu à cette enquête. Elèves et enseignants témoignent en effet d’une pédagogie coconstruite en présence, au cœur d’une institution qui, au regard d’une violence extérieure rabattue vers la guerre, a continué à rendre possible un être ensemble.

Emmanuel Saint-Fuscien EHESS / Lier-FYT


 

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